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"Archipels" est le fruit du travail des équipes de ces deux revues :

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Archipels | Ce sont juste des oiseaux
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Ce sont juste des oiseaux

 

Votre père qui a lui-même vécu une expérience migratoire a pourtant une réaction négative vis-à-vis de l’arrivée de réfugiés en Europe. Comment expliquez-vous celle-ci ? La comprenez-vous ?

Je pense que mon père est très sincère. Il est parti au Canada après la Deuxième Guerre mondiale parce que tout était ruiné ici, parce qu’il n’y avait plus de travail. Mais quand je lui dis « c’est la même chose pour la plupart des réfugiés syriens qui débarquent aujourd’hui », ses peurs sont principalement nourries par de la désinformation. Il me sort tous les clichés, les jugements, les aprioris « faciles » véhiculés par une presse légère ou des politiciens de bas étages. Hormis le fait que ce soit mon père, comment être en colère contre cet homme ? Après chaque conflit, on entend : « Plus jamais ça ». Or si l’homme a besoin de se tromper pour évoluer, il est malheureusement très rare qu’un groupe n’ait pas besoin de reproduire l’erreur passée pour la comprendre par lui-même.

Mon père va venir voir le spectacle. L’idée est d’aider ne fût-ce qu’une personne à voir autrement ; à penser par elle-même aussi objectivement que possible ; à retrouver la part d’humanité enfouie en elle. L’important c’est d’avoir suscité le geste. Pour moi, ce qui compte dans un spectacle, c’est l’énergie qu’on y met et que cela soit fait sincèrement en disant le moins de bêtises possibles, en y mettant le moins d’égo possible, surtout sur ce genre de thématiques. On arrive alors à un objet artistique, dans le meilleur des cas, où l’essentiel se situe au niveau du partage.

 

Pourquoi avoir choisi de montrer, une fois de plus, la, photo du petit Aylan ?

On a essayé beaucoup de versions différentes sans être réellement satisfaits et pour être franc, on n’est toujours pas pleinement satisfaits de la version avec Aylan, mais c’est celle qui est la plus proche de ce que l’on cherche à provoquer. Pour la version longue, on est toujours dans la recherche, on se demande si c’est juste. Mais est-ce qu’il n’est pas bon parfois de provoquer ? Par exemple, le spectacle L’impossible neutralité du Groupov sur la Palestine se termine par 10 minutes d’images d’enfants morts qui défilent, sans acteur sur scène. Tout ça a été pensé, il y a une véritable proposition artistique, un vrai choix assumé, que l’on soit d’accord ou pas.

Nous, on propose une photo, qui est horrible mais qui a été tellement utilisée. Il y a une volonté de bouleverser non pas les certitudes, car cela est très difficile à faire, mais les ancrages des personnes qui viennent assister au spectacle. Ce qui est intéressant, c’est que beaucoup de spectateurs – bien souvent les plus « cultivés » – sautent sur l’occasion pour éviter le sujet en créant la polémique autour de l’utilisation de cette photo. Ça leur permet d’éviter le vrai débat qui ne porte pas sur une photo mais bien sur une crise mondiale.

 

Au-delà de la photo d’Aylan, la pièce se termine par une série de portraits. Qui sont-ils ? Pourquoi les montrer ?

Ce sont des gens qui doivent fuir une guerre, la misère, la faim, le froid, la chaleur. Ils partent bien souvent dans la précipitation. Dans le meilleur des cas, ils débarquent en Europe, dans des pays dont ils ne parlent pas encore la langue. Donc, même si on les interviewe, ils ne peuvent pas (encore) s’exprimer, ils ne comprennent pas, ils sont « inouïs ». Ils n’ont pas le droit à la parole, ils n’existent pas. Ce n’est même pas qu’ils n’existent plus, ils n’existent pas. Il y a là quelque chose d’essentiel. À la fin du spectacle, on voit Elvis qui chante une chanson qui parle d’oiseaux. Ces oiseaux, ce sont juste des oiseaux. Même dans nos campagnes aujourd’hui, la plupart des habitants ne parviennent plus à reconnaître cinq types d’oiseaux différents. J’ai l’impression que pour les réfugiés on est dans la même réalité : « Ils sont tous les mêmes. Ils viennent profiter du système et ne parlent même pas notre langue ! » On ne prend plus le temps d’apprécier la richesse et l’intérêt de la différence, on nivelle le réel. Il n’y a plus d’humanité, on n’existe plus : avant même de commencer « ça » n’existe plus.

 

Propos recueillis par Baptiste De Reymaeker et Maryline le Corre

 

  • La pièce sous chapiteau sera jouée du 11 octobre au 11 novembre 2016 au Théâtre 140 à Bruxelles
  • Théâtre d’un jour : http://www.t1j.be
  • Illustration / Céline De Vos – Apporter la rumeur

 

 

 

 

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