« La première – et pratiquement la seule – condition d’un bon style, c’est d’avoir quelque chose à dire. »³
Je voudrais terminer sur une note optimiste, mais malheureusement ça concerne quelqu’un de pratiquement incompréhensible pour quiconque (dont moi) et pourtant produisant depuis trente ans une œuvre complètement assumée, belle, profonde, puissante.
On se retrouve régulièrement avec des amis pour assister à l’un de ses spectacles annuels au Théâtre de la Villette, à L’Échangeur de Bagnolet. Je l’ai aussi vu sur la scène nationale de Clermont-Ferrand et aux Subsistances de Lyon.
Il s’appelle Alexis Forestier et sa compagnie, Les Endimanchés.
Si je m’attache à ses spectacles, c’est qu’ils me parlent en profondeur. Tous. Et pourtant les auteurs qu’il pratique me sont presque tous étrangers: Hugo Ball, Francis Ponge, Henri Michaux, René Char, Maurice Blanchot. Et quand il va sur des auteurs plus familiers c’est pour dénicher des textes inconnus: Bertolt Brecht, Franz Kafka, Georg Büchner, Gertrude Stein et avec ses derniers spectacles Le Dieu Bonheur et Greffes : Heiner Müller.
Tous les spectacles que j’ai vus nous projettent dans une sorte de chaos dans lequel les acteurs sont pris d’une frénésie de mettre de l’ordre parmi de multiples objets, planches, bâches, tubes, instruments de musiques, écrans, chariots, poulies, cordes… En vain.
Un enfer beckettien façon Dépeupleur plutôt que dantesque ou kafkaïen. Un enfer pour rien, un enfer pour faire et pour dire. Car ça cause. En français, en anglais et surtout en allemand. Magnifique langue, langue de l’inconscient qui sait. Les comédiens ont appris des textes très longs.
Par ailleurs, ils doivent se souvenir d’enchaînements de mouvements, de déplacements d’objets, de partitions musicales… C’est vertigineux, virtuose, virevoltant, besogneux, affairé, épuisant.
Musique, chant, films, textes projetés. Les sources sonores sont multiples, spatialisées. Les projecteurs sont visibles, déplaçables, partie prenante du capharnaüm.
Certes, il y a un début et une fin, mais ça pourrait n’avoir jamais commencé et ne jamais finir. C’est très déstabilisant.
C’est probablement ce qui enthousiasme ceux que ça enthousiasme.

Bruno Boussagol


3. Michel Houellebecq citant Arthur Schopenhauer.


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