[Québec]

Un nouveau printemps bourgeonne,

(ou quand « l’eau tiède » bouillonne !)

Par Pauline Perrenot
Suite de l'entretien avec Clément de Gaulejac

Depuis la mi-mars au Québec, le gouvernement austéritaire de Philippe Couillard est secoué par de grandes manifestations, massivement venues du monde étudiant. Dans un précédent article, Clément de Gaulejac, artiste activiste pendant le Printemps Érable, dressait un panorama du mouvement social actuel, inscrit en réaction à la déferlante libérale. Il nous parle ici de ses démarches engagées et de la façon dont 2012 est venu bouleverser son rapport au geste artistique. En rouge et noir, ses dessins satiriques ont équipé les manifestants lors du Printemps avant d'alimenter « L'Eau Tiède », un blog veillant à contrecarrer l'idéologie et les discours néo-libéraux.

Puisque l'art ne naît pas engagé, comment cet engagement a-t-il surgi et s'est-t-il matérialisé dans ton travail ? Comment en es-tu venu à te dire, « maintenant, je mets mon travail artistique au service de » ou en tout cas, je m'implique dans quelque chose qui me dépasse ?
C'est une vaste question, une de celles que je me pose depuis le tout début de mon expérience d'artiste. Quand j'ai fait mes études aux Beaux-Arts, ces questions restaient non résolues parce que je n'avais jamais trouvé la forme pour les résoudre. Je tournais autour du pot en faisant autre chose. Mais toujours en caressant cette idée que si mon art n'était pas engagé explicitement, il l'était de fait parce que je manipulais des formes qui participent à la construction des représentations.
Maintenant, je ne pense plus ça du tout. Je me suis rendu compte que passer à une forme de production artistique à contenu clairement engagé, qui parlait explicitement de politique, ce n'était pas du tout la même chose. Je m'en rends compte maintenant que j'ai pratiqué les deux.

Je ne dirais pas que l'art non engagé n'est pas intéressant, ce n'est pas du tout ce que je pense, mais de fait, je pense qu'il l'est quand même vachement moins !
D'un autre côté, il faut aussi relativiser le poids que l'art, mon travail en l'occurrence, peut avoir sur le cours des choses… Je pense que ça a des effets sur les représentations, et que celles-ci influent sur les autres, sur notre manière d'habiter le monde, de s'y engager et de se positionner politiquement.

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C'est déjà pas si mal !
Oui, les conséquences sont nombreuses bien sûr ! Ce que je voulais dire c'est que je ne pense pas qu'il y ait une efficacité politique directe. D'une manière plus biographique, l'art que je faisais avant était soit plus conceptuel (l'art qui réfléchit à ce qu'il est lui-même), soit très proche du dessin de presse. Mais les dessins ne prenaient pas la voie satirique qu'ils ont aujourd'hui, ne s'inspiraient pas de vrais acteurs ; c'était de l'illustration. J'ai toujours eu le souci de la presse, du journalisme, de participer aux représentations du monde. Un troisième et dernier pan était celui de mon engagement politique personnel, il était plus en retrait. Et puis, au moment du Printemps, tout ça s'est rencontré.

Je suis arrivé tard sur les études à l'université au Québec, je n'avais pas de fréquentation du mouvement étudiant depuis longtemps. D'une certaine façon, je n'étais pas un militant du mouvement étudiant quand il a commencé en 2012. J'ai vu les affiches, les pancartes de l'école « La Montagne rouge », qui ont beaucoup été diffusées pendant les premières grandes manifestations. Et c'est vrai qu'en les voyant, je me suis dit : « mais oui, bien sûr, il faut faire ça! » C'est à ce moment-là que je me suis mis à chercher une forme. Pas pour faire la même chose qu'eux évidemment ! C'était des étudiants en design, et ils ont, d'une certaine façon, « designer » le mouvement en mettant en forme ses mots d'ordre. Ils lui ont donné une voix. Je me suis dit que j'allais faire l'inverse : je n'allais pas travailler sur ce que disait le mouvement en lui-même mais travailler sur ce que disaient les autres.

Finalement ça m'intéresse beaucoup plus : travailler sur la mauvaise foi gouvernementale, à lui renvoyer en pleine tête sa rhétorique. C'est cette dynamique qui a émergé. Dans les manifs, quand des flics balancent des fumigènes dans le camp de manifestants, il y a toujours quelqu'un pour les leur renvoyer ! Mon but était de renvoyer au camp adverse ses agressions verbales et langagières. Je voulais aussi remettre un peu de dialectique là-dedans : là où ils ont terriblement intérêt à simplifier les positions des uns et des autres, il fallait recomplexifier. Ce que j'ai trouvé fantastique dans le mouvement de 2012, c'était aussi sa richesse dialectique. Il disait : « en face de vos simplifications permanentes du réel, nous, on lui réinjecte de la complexité ». Leur radicalité est passéiste, cherchant à faire passer le mouvement pour une agitation utopiste et naïve. Notre mouvement, s'il est « révolutionnaire radical », c'est dans son désir de faire les choses différemment car on voit que comme ça, ça ne marche pas.