Espagne / Turquie (A. Leuret)

Espagne VS Turquie : la bataille de Lépante

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Amies lectrices, amis lecteurs, bonjour et bienvenue en ce n-ième jour du championnat de football Euro 2016 ! Comme certains d’entre vous le savent déjà, ce sont La Turquie et l’Espagne qui s’affrontent ce soir au stade de L’Allianz Riviera. À noter que cette rencontre est, pour le moins, des plus remarquables : de nombreuses confrontations opposant ces deux nations ont déjà eu lieu dans le passé. Et il ne s’agit pas uniquement de rencontres sportives. L’histoire évoque, en effet, l’une des plus grandes batailles navales menée en Mer Méditerranée : la bataille de Lépante, ou comment la flotte de la Sainte Ligue marqua, en 1571, la fin de l’expansion de l’Empire ottoman en Europe. Mais avant de rentrer dans le vif du sujet, replongeons-nous quelques temps auparavant afin de mieux comprendre les enjeux qui menèrent à cet événement historique. Nous sommes alors au XVI siècle, au cœur du bassin méditerranéen…

À cette époque, l’Empire ottoman, dirigé par le puissant sultan Sélim II, cherche à étendre les frontières du territoire turc au niveau de la Méditerranée occidentale. Pour cela, il n’hésite pas à collaborer avec des pirates sanguinaires et des chrétiens renégats. Constantinople, capitale de l’empire, devient rapidement un important port de guerre duquel partent les forces du sultan. Armés jusqu’aux dents, les Turcs entament alors leurs promenades de santé annuelles au large des côtes espagnoles et italiennes, promenades agrémentées de quelques razzias musclées en territoire chrétien. Pillages et esclavages deviennent alors le quotidien des populations locales. Les forces chrétiennes sont impuissantes face aux Turcs trop nombreux.

Toutefois, la sanglante prise de Nicosie en 1570, par l’Empire ottoman, bouleverse l’histoire. À la suite de l’attaque de Chypre – qui est alors une possession de la République de Venise – celle-ci marque le changement de position des Vénitiens en faveur du camp chrétien, eux qui jouaient pourtant la carte de la neutralité. Cette bataille est, en quelque sorte, la “goutte d’eau en trop”. C’est ainsi qu’après plusieurs négociations, une coalition chrétienne voit le jour en mai 1571 : la Sainte-Ligue, dont l’objectif est de mettre un terme à la progression ottomane. Cette alliance réunit principalement trois grandes nations auxquelles s’ajoutent d’autres états comme Gènes et Malte. D’abord l’Espagne, véritable puissance et monarchie très influente. Elle contrôle une partie de la Méditerranée et ses dirigeants sont issus des plus hautes familles d’Europe telle que celle des Habsbourg. Puis, le Saint Siège du Vatican, allié de l’Espagne chrétienne, qui détient, lui aussi, une forte influence au sein des cours européennes. Dirigé par le pape Pie V, c’est en effet le centre du pouvoir spirituel chrétien. Et enfin, Venise, métropole commerciale et grande puissance maritime de l’Italie, qui joue un rôle clé dans cette histoire puisque sa flotte compte de nombreux vaisseaux. Parmi eux, se cachent d’ailleurs les galéasses, des navires commerçants vénitiens renforcés et armés de puissants canons. L’objectif de Venise est le réarmement complet, et c’est dans le plus grand secret qu’elle confectionne ces véritables forteresses des mers. Sous l’ordre du pape, c’est le prince Don Juan d’Autriche, jeune demifrère du roi d’Espagne Philippe II, qui prend la tête de l’opération. De Barcelone, Rome et Venise, tous font alors route vers le détroit de Messine, au large de la Sicile, dans le but d’unifier totalement la flotte chrétienne.

Du côté de l’Empire ottoman, l’heure est grave ! Les espions ayant parfaitement rempli leurs rôles, le sultan Sélim II est averti de la progression de la Sainte Ligue. Un conseil de guerre est établi dans l’urgence. Finalement, la flotte turque est dépêchée vers la ville de Lépante, dans le golfe de Patras, au large de la Grèce. Lépante est, en effet, un véritable point stratégique pour l’armée ottomane car le fort de la ville fait office de base militaire navale. Une fois arrivés sur les lieux, les chefs militaires ottomans développent une stratégie pour faire face à l’armée chrétienne. Ali Pacha, vainqueur de la bataille de Chypre, est désigné “capitaine” de l’armada turque. Il est alors secondé par le redoutable corsaire Euldj Ali, ainsi que des pirates Scirrocco. L’armée turque est prête. La flotte, composée de 250 galères et d’une soixantaine de galiotes (navires plus petits mais plus maniables), se dressent fièrement dans le golfe de Patras. À leurs bords, 100 000 hommes environ attendent le signal, soit l’équivalent de trois fois le nombre de places d’un stade de foot. Néanmoins, un conflit éclate entre les deux généraux. Euldj Ali, excellent marin, pense qu’il est plus judicieux de rester proche du port de Lépante afin de bénéficier de l’aide du fort. Trop fier pour accepter, Ali Pacha rejette la proposition du corsaire. Il estime cette tactique comme étant synonyme de lâcheté, et à l’encontre des valeurs de l’armée ottomane, jusque alors réputée invincible. L’armada turque s’éloigne donc de Lépante et se range en ordre de bataille, près de l’île d’Oxya.

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Entre temps, la coalition chrétienne quitte Messine et met également le cap vers l’île d’Oxya. Selon les éclaireurs, les Turcs y ont été aperçu. A bord de son vaisseau amiral, Don Juan d’Autriche et ses hommes terminent leur plan d’attaque. L’objectif principal est de piéger la flotte adverse dans le golfe en dressant un véritable mur de défense. Ils placent également leurs “meilleurs joueurs”, les galéasses, sur le front afin d’établir une percée dans le rang ennemi. La bataille est désormais inévitable…

Et c’est ainsi, chers lecteurs(trices), que nous nous retrouvons, au large de Lépante, à l’aube du 7 octobre 1571, face à l’une des plus grandes batailles navales de l’Histoire. À présent, les deux équipes se font face sur une longueur d’environ 5 km, soit presque la longueur de 41 terrains de football. Les deux amiraux se placent en face à face, se toisent. Les rangs sont formés des deux côtés. L’engagement est imminent. Et c’est le coup de canon du vaisseau amiral de Don Juan d’Autriche qui marque le coup d’envoi de cet affrontement. Les navires s’éperonnent avec violence. Les Turcs sont d’abord confiants en raison de leur supériorité numérique sur le terrain. Mais ils déchantent très rapidement en découvrant les galéasses vénitiennes. La Sainte Ligue envoie les “favoris” de son équipe en première ligne. Les cuirassés, alors armés de canons pointant dans toutes les directions, font rapidement parler la poudre et déstabilisent avec véhémence les rangs de l’armée ottomane. C’est un véritable déluge de feu qui s’abat sur la flotte. Les navires turcs viennent alors littéralement s’empaler dans la défense ennemie. L’heure est maintenant aux abordages. Les soldats des deux équipes prennent d’assaut les vaisseaux adverses, armés de grappins et de pics. Ils mènent un combat acharné sur le sol mouvant des navires. Des milliers de corps tombent par-dessus bord. Le cri des mourants se mélange aux sons des trompettes et des tambours de guerre, et au vacarme assourdissant des canons. En quelques minutes, le plancher des galères est jonché de cadavres. Le combat fait rage. Don Juan d’Autriche dirige maintenant son vaisseau en direction de celui d’Ali Pacha. Il le marque clairement à la culotte et finit par aborder le navire de l’amiral turc. Un duel oppose alors les deux capitaines. Et c’est finalement sur une magnifique tête de la part d’Ali Pacha, brandit par Don Juan d’Autriche tel un trophée, que le match semble clôturé. Les soldats turcs, témoin de l’horreur de la scène, sont anéantis. La supériorité de l’armement chrétien est évident. La Sainte Ligue paraît déjà triomphante. Mais c’est oublier Euldj Ali, le second de l’amiral. Occupant l’aile gauche du terrain, lui et ses hommes refusent d’abandonner. Tous se livrent alors à une boucherie sans nom face aux chevaliers de Malte, impuissants. Toutefois, les galères de Don Juan d’Autriche, en formations serrées, finissent par toutes se diriger vers le corsaire. Ce dernier prend alors la fuite, en direction d’Oxya. La victoire appartient aux chrétiens et met un terme à l’expansion de l’Empire ottoman…

De cette “rencontre”, il ne restera qu’une mer de sang, un enchevêtrement de galères, de voiles déchirées, de navires en feu et de corps flottant à la dérive. Le bilan humain est lourd : 8000 morts et près de 20 000 blessés pour les chrétiens, et plus de 30 000 morts ou blessés chez les Turcs. Le célèbre écrivain Miguel Cervantès, présent lors de la bataille, écrira par la suite :

“Le soldat sait bien qu’au premier faux pas, il risque d’être précipité dans les entrailles de Neptune. Malgré cela, il s’expose avec courage aux formidables abîmes, et il met tout en œuvre, en traversant cet étroit passage, pour réussir l’abordage du vaisseau ennemi.”

C’est ainsi que se termine la célèbre bataille de Lépante. Espérons juste que le match qui opposera l’Espagne et la Turquie se montrera tout aussi digne d’intérêt !

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