France / Albanie (I.Burlet)

Le 15 juin 2016, le pays des droits de l’Homme se confrontera au pays du Kanun dans un stade marseillais. Le kanun, c’est ce code pénal créé au XVe siècle dans les pays de l’ancien empire ottoman. Encore en vigueur dans certaines régions d’Albanie, il permet à certaines femmes de choisir de vivre comme un homme en faisant vœu de chasteté. Alors la question est, en France comme ailleurs : doit-on devenir un homme pour jouir
des même droits que ceux-ci ?
Clairement, malgré cette possibilité de « choix », on ne peut pas dire que les femmes nées sur ces terres albanaises aient une chance inouïe. Cependant même si ce pays mérite un carton rouge pour la quasi absence de place et de droits qui leur sont accordés, on peut s’indigner face aux inégalités encore existantes en France entre les deux sexes. Rappelons-nous : ça n’est qu’en 1945 que les femmes ont obtenu le droit de vote. C’est donc il y a seulement 70 ans qu’on a considéré que les femmes étaient capables de s’exprimer sur la politique, 50 ans que celles-ci peuvent ouvrir un compte en banque et travailler sans l’autorisation de leur mari et c’est en 2000 qu’est promulguée la première loi sur la parité politique. Ça ne remonte finalement pas à si longtemps que ça. Pour en revenir au foot, dont la pratique a été interdite à la gent féminine jusque dans les années 60-70. En même temps, comme disait Henri Desgrange, coureur cycliste et journaliste français, en 1925 : « Que les jeunes filles fassent du sport entre elles, dans un terrain rigoureusement clos, inaccessible au public : oui d’accord. Mais qu’elles se donnent en spectacle, à certains jours de fêtes, où sera convié le public, qu’elles osent même courir après un ballon dans une prairie qui n’est pas entourée de murs épais, voilà qui est intolérable! » Intéressant. On croirait presque que nous ne sommes physiquement pas aptes à courir et taper dans une balle à cause d’une absence de bijoux. Faudrait savoir un peu.
Bon, depuis 2014 nous avons atteint les cages grâce à la Loi n°2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes. Parfait. Mais que manque-t-il alors pour clore d’un but final ce match entre les différences de sexe ? Et bien même si les femmes ont gagné du terrain d’un point de vue juridique et moral, il reste la question de la mentalité et de l’image. Et ça n’est pas encore gagné.
La réponse se trouve dans ce que l’on appelle le sexisme ordinaire. Le sexisme ordinaire (que je qualifierais aussi d’inconscient) c’est cette petite voix qui nous dit, dès l’enfance, que la boxe et la batterie sont destinées aux mâles (attention pas le mal, même si pour certaines les deux semblent liés) que les femmes devraient éviter de faire, mais aussi qu’un homme, un vrai, doit être fort et ne pas pratiquer une activité ou un comportement trop féminins. Que les garçons aiment le bleu et les filles le rose.
marie
Marie était donc un homme. On en apprend tous les jours.
Seulement au Moyen-Âge, le bleu était associé aux filles, couleur de la vierge Marie, et le rose, qui est un rouge pâle, aux garçons1. Comme quoi.
L’humain évolue dans une société sans cesse changeante, et il est perpétuellement entouré d’idées, d’opinions, de valeurs et de codes qui le forgent. Cependant, en répétant toujours les mêmes messages, hérités du poids des traditions, on bride les mentalités et on influe sur les désirs et volontés d’hommes et de femmes, pénalisant environ la moitié de la population mondiale.
Aussi bien dans la vie professionnelle que personnelle, associer à la féminité un métier, une activité ou une attitude deviennent quelque chose de dégradant pour les hommes. Il est intéressant de voir que, au fil du temps, même la vision des métiers a changé. Prenons les exemples des disciplines de l’enseignement et de la médecine. Avant, exclusivement réservées aux hommes elles se sont désormais très fortement féminisées.
Il était en effet impensable qu’une femme puisse s’occuper de l’éducation scolaire et de soins médicaux. En 2015, les femmes représentent 82,6% des effectifs dans la maternelle et le primaire, 51,2% au collège/lycée et 38,1% dans le supérieur2. Désormais, beaucoup les qualifient de métiers de femmes et les hommes occupant ces postes là sont alors parfois critiqués.
Pourquoi le qualificatif « comme une fille » est-il alors quelque chose de si péjoratif ? En 2014 une certaine marque avait fait une campagne assez révélatrice mettant en scène des personnes, essentiellement féminine mais pas exclusivement, face à la question « Pour vous c’est quoi faire quelque chose comme une fille », et l’imitation était souvent ridicule. La femme, alors réduite aux qualificatifs de « niaise » et « fragile », ne semble pas pouvoir faire grand chose correctement. Cette marque vendant des produits à usage exclusivement féminins (oui, il faut bien admettre que, mensuellement, on a quelques différences physiques), la cible marketing était les détentrices de vagin. Mais cette publicité montrait que les femmes elles-mêmes se pensaient incapables. Incapables de faire ce qu’un homme peut faire. Se dresse alors une sorte de barrière mentale. De plus, combien de jeunes garçons ont tourné le dos à la danse classique ou à la coiffure (ah tiens, bonjour à vous les prud’hommes)3 à cause de cette pression sociale ? Car cloisonner les femmes, c’est aussi cloisonner les hommes et brider quelqu’un dans son envie de faire ce qui plaît réellement. Et parce qu’il n’est pas aisé de s’extraire de cette image préconçue de la féminité et de la masculinité
idéale, il y a encore des personnes qui se battent.
Contrairement à ce que beaucoup avancent, la plupart des féministes actuelles luttent non pas pour être au-dessus des hommes et assouvir un désir de vengeance face à des siècles de patriarcat, mais au contraire promouvoir l’égalité des sexes. Il existe pléthore de mouvement féministes, il y a d’ailleurs peut-être autant de féminisme qu’il y a de femmes, mais pour la majorité, c’est simplement faire entendre que, quelque soit le sexe, personne n’a à en juger une autre. Ni ce qu’il fait, ni ce qu’il pense, ni ce qu’il aime (ni ceux qu’il aime marche aussi mais c’est un autre débat). Imaginons la société comme un stade, et si les équipes adverses n’étaient pas d’un côté les femmes et de l’autre les hommes, mais les humains face à leur nature et leur attirance pour le jugement ? Car c’est sans doute là que réside le réel problème. Nous y sommes constamment soumis, chromosomes X comme Y, et établissons souvent l’autre d’abord à travers ça que par une réelle connaissance de sa personne.
Le sexisme ordinaire ne réside pas uniquement dans les blagues lourdes d’un patron sexiste ou de la coiffeuse au coin de la rue. Mais les clichés font vendre. Et dans cette société les messages subliminaux sont omniprésents. Ils s’insinuent dans bien des domaines, autant dans le cinéma (http://headlesswomenofhollywood.com/, tumblr mettant en évidence la place accordée au sexe féminin sur les affiches), que dans la
publicité (http://jesuisunepubsexiste.tumblr.com/), dans le commerce
(http://womantax.tumblr.com/), etc.. Je vous propose un jeu d’ailleurs, celui d’essayer de repérer autour de vous certains clichés sexistes, des plus évidents au plus pernicieux. Sans tomber dans la paranoïa, il suffit parfois d’une phrase, comme «Tu sais que tu n’es pas le premier. » placée sous le doux visage d’une jeune mannequin.
bmw
Cette pub date de 2008. Oui vous avez bien lu. 2008. Mais BMW rime avec subtilité, on peut pardonner.
Pourquoi c’est sexiste ? Pour plusieurs raisons. Cela place la femme au même rang qu’une voiture. Cela dit qu’une femme doit être belle. Et pour aller plus loin cela dit aussi qu’une femme, si elle n’est pas attrayante, ne doit pas « servir » plusieurs fois. Mais dans le monde de la publicité pour voiture les publicitaires n’en sont pas à leur coup d’essai (« Il a l’A**I, il aura la femme », ahem, subtilité je vous dis).
Alors vous qui me lisez, sachez que la balle est dans votre camp. Nous ne pouvons pas changer des  mentalités d’un coup franc. Mais faire plusieurs passe en soutenant les personnes qui souhaitent emprunter un chemin différent de ceux dictés  par les codes de la société, c’est éviter la souffrance et déjà faire un pas vers une victoire commune, la tolérance.
1 Source concernant l’attribution du rose et du bleu
:
http://www.franceinfo.fr/emission/les-pourquoi/2013-2014/pourquoi-associe-t-le-rose-
aux-filles-et-le-bleu-aux-garcons-12-15-2013-07-50
2 Source des chiffres sur le nombre de femmes dans l’enseignement :
http://www.insee.fr/fr/themes/tableau.asp?reg_id=0&ref_id=nattef07115
3 Durant le mois d’avril 2016, les Prud’Hommes avait jugé que le qualificatif de “PD” pour un employé d’un salon de coiffure n’était pas une insulte homophobe.