Pologne / Irlande du Nord (N.Busquet)

Pologne et Irlande du Nord, grands rivaux ? Pas si sûr.

Dimanche, la Pologne affrontera l’Irlande du Nord. Si leur rivalité sur le terrain se fera très certainement vive, elle ne pourra masquer leur entente sur certains sujets politiques et sociaux, notamment en matière de droits des femmes. En effet, aussi différents soient-ils, ces deux pays européens sont loin d’être des champions dans ce domaine, ne serait-ce qu’à propos de l’accès à l’Interruption Volontaire de Grossesse.

En Pologne, l’IVG était accessible et gratuite depuis 1956. Puis, le 7 janvier 1993, la loi anti-avortement voit le jour et n’a pas bougé depuis.

Que prévoit cette loi ? L’interdiction totale de l’IVG sauf dans trois cas : si la santé ou la vie de la femme est menacée, si le fœtus est gravement en danger (malformation sévère, maladie incurable), ou si la grossesse est une conséquence d’un viol ou d’un inceste. Ce n’est déjà pas très glorieux. Mais voilà que depuis les dernières élections en Pologne en 2015 amenant le gouvernement conservateur d’extrême droite au pouvoir, même ces rares dérogations se voient menacées. Le gouvernement est clair, et il est fortement appuyé par l’Église omniprésente dans ce pays, il veut adopter les mêmes lois qu’en Irlande du Nord. Parce que oui, on peut faire pire, et ces chers Irlandais nous l’ont depuis longtemps prouvé.

En effet, depuis 1945, les avortements en Irlande du Nord ne sont autorisés qu’en cas de danger pour la vie de la femme, sa santé physique ou mentale et… C’est tout. Un peu court, n’est-ce pas ? Le fœtus a une malformation fatale ? Accouche. Il sera mort-né ? Accouche. La grossesse est conséquence d’un viol ? Accouche. D’un inceste ? Accouche ! Les doubles peines, c’est toujours plus fun.

Peu importe la volonté ou la capacité de la femme à faire naître et élever un enfant (s’il n’est pas mort à la naissance !), le mot d’ordre reste : Accouche et tais-toi.

Parce que ne nous voilons pas la face : les rares exceptions pour lesquelles un avortement est légal, en Pologne comme en Irlande du Nord, ne sont même pas respectées en pratique. Tout est fait, encore une fois, pour que tu accouches. Parce que vous n’êtes que des utérus sur pattes, mesdames.

Admettons qu’une femme ait besoin d’avorter. Je ne parle pas de la volonté de ne pas avoir d’enfant, ou de l’incapacité émotionnelle ou financière à en élever un, puisque dans ces cas-là on doit juste se taire et laisser la nature faire.

Je parle d’une femme qui en a légalement le droit. Qui fait partie des exceptions prévues par la loi. Si sa santé mentale est en danger, elle devra argumenter devant un jury de trois médecins en Irlande du Nord, pour prouver ses dires (chose simple, déjà). Jouons un peu : devinez l’issue de ce recours. Indice : les médecins choisis ne sont pas impartiaux. Si sa santé physique est en danger, même chose : trois médecins en Irlande du Nord, deux en Pologne. Indice n°2 : ils ne sont toujours pas impartiaux. Enfin, si la grossesse résulte d’un viol ou d’un inceste en Pologne, la femme se doit de prouver les faits. Indice n°3 : les délais des procédures dans de tels cas ne tiennent pas compte de l’urgence de la situation, et ainsi, même si elle parvient à prouver le viol ou l’inceste (ce n’est déjà pas souvent évident) la femme se retrouve souvent hors délais pour l’avortement.

Levons le suspense, car il est bien trop intense, tout ceci fait que même si en théorie la loi prévoit quelques dérogations pour un avortement légal, en pratique ce n’est pas le cas. Ainsi, en Irlande du Nord de 2014 à 2015 il y a eu 16 IVG (pour 1,8 millions d’habitants) et en Pologne entre 700 et 1800 par an (pour 38,5 millions d’habitants). Être une femme en Irlande du Nord ou en Pologne n’est donc pas tous les jours très joyeux. (Que la République d’Irlande ne chante pas trop vite : en théorie une femme peut y avorter uniquement si sa vie est en danger -sa vie, pas sa santé, parce que sa santé, elle importe peu. Un utérus vous dis-je- quant à la pratique, elle reste la même : inexistante).

Les politiques et l’Église pourraient donc se féliciter d’avoir sauvé autant de petits chérubins. Non mais c’est vrai, à en croire les chiffres officiels, le nombre d’avortements légaux est ridicule désormais. Bravo Messieurs. Et maintenant, si nous considérions les illégaux ?

En Pologne, entre 80 000 et 150 000 avortements illégaux sont pratiqués chaque année. En Irlande du Nord, environ 4000 par an (c’est un minimum, et vous verrez ci-dessous pourquoi).

Ça en fait, tout de même. Comment diable font-elles pour contourner la loi ?

Les Irlandaises partent se faire avorter dans les autres pays du Royaume-Uni (la plupart anonymement, d’où le « minima » de l’estimation). Les Polonaises se dirigent vers les pays voisins comme la Biélorussie. Bien entendu, cela a un coût, que toutes ne peuvent pas se payer. Une autre alternative reste les pilules abortives sur le marché noir ou en ligne. Là aussi, elles coûtent cher, et il faut prier pour ne pas en avoir acheté une fausse. Enfin, les avortements illégaux sur le territoire sont très courants. Par leurs propres moyens (et en risquant leur vie), ou chez un praticien. C’est d’ailleurs devenu monnaie courante chez les gynécologues polonais qui opèrent en toute illégalité, mais rarement par charité, et ils s’engraissent bien au passage, n’en doutez pas.

Ces lois se révèlent donc totalement inefficaces. Elles n’empêchent pas les femmes d’avorter, elles leur mettent simplement suffisamment d’embûches pour le faire dans de très mauvaises conditions, discriminant les femmes en fonction de leur classe sociale, allant jusqu’à mettre leur vie en danger, y compris lorsqu’elles en ont légalement le droit. Ce fut le cas de Savita, une jeune Irlandaise décédée à l’hôpital de Galway en 2012 suite à une septicémie généralisée : le cœur du fœtus, non viable d’après les médecins, battait encore et ces mêmes docteurs ont donc voulu mener l’accouchement à son terme alors que la fausse couche avait commencé. Un des nombreux exemples où la naissance du fœtus, même non viable, prime sur la vie de la femme. Paradoxal pour un mouvement qui se dit « pro-vie* » – *Attention, offre soumise à conditions : votre vie importe tant que vous êtes dans l’utérus de votre mère ou si vous êtes un homme. Je dirais donc plutôt « anti-choix ».

Il serait peut-être temps que les politiques et l’Église comprennent que si une femme est prête à risquer sa vie pour avorter, c’est que c’est bien plus qu’une question « de confort ». C’est une nécessité.

Certaines femmes portent un fœtus non viable, et les condamner à porter et donner naissance à un bébé de toute façon mort est particulièrement cruel et traumatisant pour elles (Vous vous voyez, vous, vous faire demander si c’est un garçon ou une fille, quel sera son prénom, dans combien de temps c’est prévu, en sachant pertinemment que quoi qu’il en soit votre bébé ne vivra pas ?). Certaines femmes n’ont pas les capacités financières d’assumer un enfant, et les y obliger les condamne tout simplement, leur enfant et elle, à une précarité encore plus forte que celle connue jusqu’alors (pour l’égalité des chances, on repassera). Certaines femmes tombent enceinte suite à un viol ou un inceste, et les obliger à le garder malgré leur volonté (j’insiste sur ce point, puisqu’il arrive que des femmes veuillent garder cet enfant et dans ce cas il n’y a rien à redire) constitue une double peine, ajoutant un trauma supplémentaire (si l’enfant n’est pas désiré, encore une fois) en plus du trauma dû au crime subi. Certaines femmes ne veulent tout simplement pas d’enfant, et les obliger à le garder condamne juste cet enfant à des risques plus élevés d’avoir des parents mal aimants, négligents, ou une situation familiale moins confortable que s’il avait été désiré plus tard lorsque cette famille aurait vraiment été prête. Quant à ceux qui prôneront l’adoption dans ces trois derniers cas, il serait peut-être bon de rappeler que donner naissance à un enfant sous X reste difficile. Ce sera peut-être une découverte pour certaines personnes mais les femmes sont toutes des êtres humains dotés d’émotions et de sentiments.

Il serait peut-être temps de les considérer comme tel et de comprendre qu’un avortement n’est jamais confortable, mais une option plus viable par rapport à d’autres situations. Il serait peut-être temps pour ces pays de s’aligner aux droits des Femmes et aux mœurs du XXIème siècle.

Ça ne semble hélas toujours pas d’actualité, et quelle que soit l’issue du match de dimanche, la Pologne et l’Irlande du Nord resteront perdants sur le terrain de l’égalité et de l’humanité pour un long moment encore.

Sources :

Pologne :

http://fr.euronews.com/2016/04/07/pologne-le-droit-a-l-avortement-en-question/

http://www.genreenaction.net/L-avortement-en-Pologne.html

http://www.liberation.fr/planete/2016/04/09/pologne-manifestations-dans-tout-le-pays-pour-defendre-le-droit-a-l-ivg_1445111

http://www.lemonde.fr/europe/article/2016/04/04/des-milliers-de-polonais-ont-manifeste-contre-l-interdiction-totale-de-l-avortement_4895168_3214.html

Irlande du Nord et République d’Irlande :

https://blogs.mediapart.fr/yolaine-m/blog/080513/irlande-la-place-des-femmes

https://www.amnesty.org/fr/latest/campaigns/2015/06/6-outrageous-facts-about-abortion-in-ireland/

http://www.bbc.com/news/magazine-35980195

http://www.abortioninireland.org/