Espagne / Turquie (J. Haddad)

 

Stéréotypes : Entre Art et Réalité

MAP

Si l’Union Européenne politico-économique est aujourd’hui contestée par certains, L’EURO 2016 de football, elle, enflamme les esprits et fait chavirer tous les cœurs. L’Union Européenne, on l’aime ou on ne l’aime pas. Mais L’EURO, lui, est un signe d’appartenance inaliénable, immortel, et sacré. On ne peut pas, ne pas l’aimer.

Cette année, le favori du groupe D, affronte l’équipe la plus imprévisible. Ce vendredi 17 juin, 21h, à l’Allianz Riviera de Nice, c’est le sang chaud des fêtards qui défie le pays situé aux confins de l’Asie et de l’Europe. Seule nation à avoir conservé son titre européen, l’Espagne, pour son deuxième match, rencontre la Turquie, qualifiée pour l’Euro en tant que meilleur troisième des éliminatoires.

Autant dire que c’est les paresseux qui rencontrent les barbus. Comment ? Ah, c’est un stéréotype. Autant pour moi. Thème sensible ? Certes, mais il ne faut pas hésiter à s’attaquer à ce sujet avec une verve féroce. Pensons-y, les stéréotypes reflètent-il la réalité ? Quelle différence entre stéréotypes et préjugés ? Peut-on penser les nationalités sans préjugés ? Il est vrai que le stéréotype naît d’une généralisation, souvent simplificatrice, à partir d’une ou de plusieurs caractéristiques d’un groupe. Un préjugé, d’autre part, est un jugement sur quelqu’un ou quelque chose formé d’avance à partir d’une expérience personnelle qui vient de notre éducation, de la famille et de l’entourage ou de nos impressions. C’est une manière d’avoir une opinion lorsque l’on ne connaît pas quelqu’un ou quelque chose. C’est souvent une généralisation, un jugement sans preuves. Si “le préjugé est enfant de l’ignorance” comme disait William Hazlitt, le stéréotype, lui, ne serait-il pas finalement à mi-chemin entre art et réalité?

 

D’une part, les stéréotypes prennent source dans la réalité. Cependant, ils façonnent la réalité lui ajoutant ainsi une nouvelle dimension. Le sujet victime d’un stéréotype acquiert soudain une dimension artistique. C’est tout un art, car on parle ici de création même. Le stéréotype, à l’instar de l’art devient donc le propre de l’Homme. Il crée ainsi une nouvelle vague artistique, que l’on peut nommer art de l’Humanité avec un grand H. Le globe terrestre devient un musée exotique, riche et diversifié, un musée atypique, hors du commun mais qui frôle la réalité a la fois. Souvenez-vous que ce n’est pas rare de voir des cartographies qui représentent chaque pays par un stéréotype ! Quel art… En effet, L’Europe semble avoir une image assez précise de ce à quoi ressemblent les Espagnols: des femmes superbes, de la musique et puis, bien sûr il y a les siestes dans l’après-midi, et la fête la nuit. On dit également d’eux qu’ils sont passionnés… Ce n’est pas pour rien que dans la langue espagnole les accents sont tous aigus et s’écrivent dans le sens du cœur ! Quand on dit Turquie on comprend des machos au volant d’une Mercedes en train de manger un kebab. Voilà deux styles, deux personnalités différentes qui émergent d’une réalité… qu’on a augmentée, eh oui la réalité augmentée ce n’est pas qu’en technologie.

 

D’autre part, ces stéréotypes sont souvent faux, et finissent parfois par prêter confusion. C’est là que le stéréotype frôle le préjugé, et perd ainsi toute son esthétique, toute son essence et toute sa valeur. En effet, quand on parle de l’Espagne, on pense plutôt à des femmes qui ne peuvent pas aller aux corridas vêtues de minijupes de peur que leurs petits amis et maris ne leur fassent une scène. On dit des Espagnols qu’ils sont bruyants, mais également paresseux avec un caractère passionné, voire irritable. Ça ressort davantage d’un préjugé que d’un stéréotype. Certains des stéréotypes associés au peuple turc sont originaires de l’Empire ottoman et de ses relations tendues avec le reste de l’Europe. Un stéréotype associé à la Turquie est ainsi la perception erronée que l’ensemble de la population turque est musulman, que la Turquie est gouvernée par la Sharia ou loi islamique et que toutes les femmes portent un voile. Le Turc stéréotypé est souvent représenté comme ayant une famille nombreuse, bien plus qu’une seule femme, et que cette dernière se soumet à son mari dans le cadre d’une société patriarcale… Tous ces stéréotypes sont toutefois influencés par des idées reçues venant d’une méconnaissance du pays qui n’a rien d’arabe et qui est bel et bien ottoman !

 

Donc stéréotypes : entre art et réalité ? A mi-chemin, certains restent vrais mais… Si on pensait les nationalités sans stéréotypes ? Est-ce possible ? Oui, car il y a toujours ces enfants ont grandi dans un monde qui n’est « ni l’un, ni l’autre » : on les appelle enfants de la troisième culture. Ils n’ont pas été élevés pleinement dans le monde et la culture de leurs parents, ni pleinement dans le monde des cultures où ils ont grandi. Ils suivent un processus : ils vivent d’abord dans une culture dominante, puis se déplacent dans une autre, voire deux – ou trois – avec chaque fois des allers et retours dans le pays d’origine. Les enfants de troisième culture développent leurs propres modèles, leurs propres styles de vie, différents de ceux qui sont nés et ont grandi au même endroit toute leur vie durant. Il n’est même plus question de stéréotypes car ces enfants-là créent leur propre système de valeurs qui ne ressemble à aucun modèle préétabli dans n’importe quel pays du monde. Ce sont ces buteurs qui, sans attache particulière, sans stéréotype qu’on pourrait leur associer… réussissent tout de même à donner à leur vie un art qui n’est pas celui du stéréotype.