Islande / Autriche (m.prigent)

 notrepremiererencontre

 

Nous sommes le 14 juin 1989, à Reykjavik, capitale de notre premier personnage : L’Islande. Terre de glace insaisissable, isolée de ses confrères européens. Cette Beauté du nord perdue dans le large océan atlantique allait pour la toute première fois, rencontrer notre deuxième personnage la terre natale de Mozart, l’aventurier alpin : l’Autriche.
Pour cette première, elle revêtit un simple lopapeysa. Chandail typique, tricoté main avec la douce laine d’agneau, qui se distinguait par son large cercle décoratif au niveau du cou. Tenue décontractée qui reflétait une inébranlable confiance en soi, trait caractéristique pour tout ancien viking qui se respect. Sirotant un Reyka au comptoir, et portée par l’énivrante musique du groupe « the Sugarcubes », elle ne fit guère attention au montagnard tyrolien qui venait d’entrer à son tour sur le terrain.
Le rendez-vous était fixé à 18h30 au Lebowski Bar. Alors soit, c’était un peu tard pour dîner pour notre deuxième protagoniste, habitué à manger à 17h, mais ça lui rappelait le pays, où finalement il n’y avait pas réellement d’heure pour manger. Puis après avoir parcouru tout le pays en voiture faute de train (aucun train en Islande), il ne rêvait que d’une chose c’était d’un bon Wiener Schnitzel. La plus connue des escalopes de veau panées ! Souvent servie avec des pommes de terre persillées et sauce aux airelles bien meilleurs que leur sneioar* islandais qu’on lui avait servi un peu plus tôt dans la journée.
 Essayant d’oublier son ventre vide, il observait les paysages qui défilaient le long des routes sinueuses. Ils n’étaient pas si différent de son Tyrol natal. Paysages montagneux, vallonnés, reflet d’une nature préservée. Il imaginait facilement les chalets en bois, perdu dans les montagnes autrichiennes, couvert de neige,et d’où s’échappe la fumée d’un doux foyer. Ici les vaches dans les vastes verdoyants alpages sont remplacées par des moutons broutant dans des landes désertes, les bouquetins par des rennes, et la marmotte par le phoque. Pour ce premier rendez-vous, il avait mis à l’honneur sa région en portant le fameux lederhose. Très pratique pour arpenter les sentiers montagneux sous le soleil, mais beaucoup moins pour affronter la pluie qui subissait depuis quelques jours. Ce n’était pas les 2 heures de décalage horaire qui l’avait le plus surpris mais plutôt les 10 degrés de moins à la sortie de l’aéroport.
En remerciant le taxi par un pourboire, il aperçut le bar qui se distinguait facilement par la pancarte sur la porte : « if you are racist, sexist, homophobic or an asshole … don’t come in. ». Pas étonnant dans un pays qui ne connaît pas de division de classe et qui prône l’égalité et la tolérance, valeurs qu’il partageait dans l’ensemble. A son entrée dans le bar, il reconnut de suite celle qui allait être sa compagne/rivale dans les prochaines années à venir.
Leur rencontre fût formelle, elle lui serra la main comme à l’accoutumé et lui dit bonjour suivi d’un Gruss Gott. Ces deux mots intriguant suffirent à donner le coup de sifflet de cette première rencontre. Elle, adepte du luthéranisme ne fut que surprise par l’importance de la religion en l’Autriche. En effet, l’église catholique autrichienne est une force idéologique et économique de première importance, et fut longtemps un bastion pour la préservation de la foi. Il y a un respect intensif des pratiques religieuses comme saluer au nom de Dieu (Gruss Gott), les messes dominicales ou les pèlerinages dans les innombrables abbayes. Abbayes qui chez l’Islande, possèdent des architectures toutes particulières. On en retrouve sous forme de tipis, de montagnes ou encore d’orgues basaltiques qui font plus penser à des pliages d’origamis qu’à un quelconque lieu de culte. Un premier fait atypique qui désorienta de peu l’Autriche mais pas autant que ce qui allait suivre. Le sujet devenant houleux, il décida de détendre l’atmosphère en lui parlant d’un article qu’il avait lu en arrivant. Il faisait mention de la construction d’une route qui avaient été déviée afin de contourner une colline où soit disant vivaient des elfes. Il fut pris d’un fou rire à la mention du mot ‘elfe’, mais fut vite stoppé quand il vit l’Islande sur la défensive. Ce n’était pas un sujet à prendre à la légère, quand on sait qu’un islandais sur deux croie à l’existence du huldufólk ( le peuple caché ). Certain, dise même les voir ou leur parler et nombreux sont les jardins islandais qui possèdent quelques pierres entassées dans un coin sauvage destinés aux elfes. Quand on construit une nouvelle maison, la tradition veut qu’on réserve une petite place aux esprits qui habitaient les lieux auparavant afin de rester en bons termes avec eux et s’assurer de leur bienveillance. L’Autriche venait d’être mis sur la touche et l’Islande décidait de passer en attaque. Ses traditions et ses croyances étaient peut être peu conventionnelles, mais elles reflétaient une identité marquée, propre et une grande ouverture d’esprit, ce qu’elle reprocha fortement à l’Autriche. Il est vrai qu’avec les profonds changements géopolitiques au cours de l’histoire et de ses nombreux pays frontaliers, il était difficile de discerné une culture uniquement autrichienne. On y parle l’allemand, mais on y reconnaît aussi le croate, le hongrois et le slovène. Même sa cuisine nationale reflète l’histoire de sa politique avec ses plats tchèques ou encore hongrois. Le faite d’être le pays européen au sein duquel l’extrême droite obtient l’audience la plus importante, n’en fait pas pour autant un pays non tolérant. Sa capitale Vienne est connue pour son engagement pour la cause gay et dans un futur proche (2016), l’Autriche permettra l’adoption pour les couples homosexuels alors que beaucoup de pays européen ne le permettront pas. L’Autriche ne se démonta pas et trouvait drôle qu’un pays qui revendique autant la liberté et la tolérance, ne laisse même pas les parents décider des prénoms de leurs propres enfants. L’Islande ne sût que répondre. Elle était très attachée à sa culture et à sa langue, à tel point que le prénom d’un enfant doit figurer dans une liste de prénoms officielle. Les noms se composent du prénom du père ou de la mère suivis du suffixe ‘son’ pour les garçons et ‘dóttir’ pour les filles.
S’en suivit une lutte acharnée et désordonnée, critiquant les chants tyroliens ridicules de l’un et la stupide interdiction de la bière de l’autre. Ils furent interrompus par le barman qui leur fit signe que le bar allait fermer.
Un silence se fit, et chacun comprit que cette conversation avait tourné au ridicule et les arguments qui, au départ étaient pertinents, n’étaient devenus qu’un ramassis de clichés. Ils rirent. Malgré leurs différences, ils restaient pas moins très semblables et chacune de leurs particularités les rendaient uniques et attachants. Match nul.
Ils décidèrent de se quitter amicalement, et en marque de politesse, l’Autriche fit un geste de courtoisie qui sans le savoir allait marquer le début des hostilités. Il venait de remettre en question des années de luttes et une des premières fiertés de l’Islande. Elle était l’une des premières à avoir donné le droit de vote aux femmes (1908) et la première au monde à élire démocratiquement une femme à sa présidence (1980). Depuis des décennies, elle prônait l’égalité des sexes et condamnait toute attitude machiste et l’Autriche venait de lui tenir la porte.

 

*sneioar : gigot d’agneau tranché avec l’os mariné.
*La Lederhose : une culotte courte traditionnelle à pont s’arrêtant au-dessus des genou