Allemagne/Pologne : Et les femmes dans tout ça? (J.Puech)

Étrange match que celui Allemagne – Pologne! Footballistiquement parlant, le suspens n’est pas très palpable, dira-t-on. L’un, quadruple champion du monde, porte la casquette du favori. L’autre, malgré une nette progression ces dernières années, n’a jamais passé le premier tour de l’Euro…

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Equipe feminine allemande lors de la dernière coupe du monde au Canada

Et pourtant, ce match, sans enjeux majeur sur le papier, va certainement susciter bien plus d’engouement que ne pourra probablement jamais le faire un match de football féminin ! Même si ce dernier voyait se rencontrer l’Allemagne et les Etats-Unis, le top du top des équipes féminines… Triste illustration du fossé qui sépare encore les hommes et les femmes dans le milieu du ballon rond.

Balbutiant dans les années 1900, interdit et tabou dans les années 1930, le football féminin a malgré tout bien déployé ses ailes ces dernières années, gagnant en popularité et en reconnaissance. Il y a de plus en plus de licenciées et certains matchs sont diffusés à la télévision. Malgré tout, le chemin à parcourir pour atteindre la même visibilité que celle accordée à leurs homologues masculins reste encore long. Les réticences des sponsors et le sexisme du milieu y sont pour beaucoup. Il suffit de s’intéresser aux réflexions de Sepp Blatter, ancien président de la FIFA, pour saisir l’ampleur du problème. Ce dernier a gentiment proposé une solution “durable” pour attirer les spectateurs vers le football féminin : celle de “[faire] en sorte que les femmes jouent avec des vêtements plus féminins, comme au volley”.

Réussir à populariser la pratique du foot par des femmes dans une société où les clichés règnent encore s’avère assez complexe. Exemple frappant, les réactions enflammées suscitées par l’annonce du prochain jeu vidéo FIFA avec des équipes féminines. Certains applaudissent l’initiative de Electronic Arts (les développeurs du jeu) mais d’autres se questionnent sur l’utilité, arguant que 90 % des joueurs du jeu seraient des hommes, et que par conséquent ils ne choisiraient jamais les équipes féminines ou encore en demandant si le mode « cuisine » serait ajouté (1).

Qu’il ait fallut attendre 2016 pour voir ajouter une dizaine d’équipe féminine dans un jeu vidéo dédié au football n’est pourtant pas étonnant puisque même la FIFA, la Fédération Internationale de Football, traite différemment les équipes féminines et masculines. Les hommes ont droit à une coupe du monde depuis 1930 alors que les femmes ont dû attendre sur le banc de touche jusqu’en 1991. Et même à l’heure actuelle, il y a toujours des polémiques autour de son organisation. Comme par exemple, le nombre d’équipes qualifiées: 24 pour les femmes, 32 pour les hommes. Ou encore le type de terrain: toujours du gazon naturel pour les hommes alors  que les femmes ont joué sur de la pelouse artificielle lors de la dernière coupe du monde. Pelouse artificielle qui, à long terme, coûte moins cher mais qui est plus dangereuse, notamment lors des chutes (car plus dure et accroissant les risques de brûlures). Aucune mesure n’a été prise malgré les plaintes, notamment parce que le Canada, pays organisateur, a été le seul pays à se porter candidat pour accueillir cette coupe du monde.

Et ce n’est pas fini ! Ces inégalités se retrouvent aussi … sur les salaires et les primes ! Quelle surprise ! Les joueurs allemands, sacrés champions du monde au Brésil en 2014, ont reçu une prime de 35 millions de dollars de la part de la FIFA, contre 2 millions pour les joueuses américaines, vainqueurs au Canada l’année dernière. 2 millions, soit 33 millions de moins que leurs homologues masculins et près de 6 millions de moins que certaines équipes masculines, non couronnées…(2) Concernant les inégalités coté salaire, la FIFA n’est plus en cause, mais cela n’empêche malheureusement pas des écarts considérables. En moyenne, un joueur de Bundesligua (le championnat allemand) gagne 1,8 million d’euros (avec plusieurs joueurs à 8 millions d’euros) alors qu’une joueuse ne percoit en moyenne que 67 400 euros par an (avec un maximum à 130 000 euros pour Nicole Banecki, pensionnaire du SC Freiburg)(3). Ces écarts se creusent aussi avec les contrats publicitaires et sponsors que peuvent espérer les joueurs les plus populaires. Cette histoire de popularité régit aussi la diffusion télé. En 2016, pour voir un match féminin à la télé, sur une chaîne gratuite, il faut que les enjeux soient importants: coupe du monde, finale… alors que les championnats masculins sont diffusés dans leur intégralité. Pas d’égalité non plus donc, sur le temps de diffusion.

Bref, les femmes dans le foot, cela reste un match compliqué. Et peut-être est-ce tristement représentatif de notre société actuelle qui fait des efforts vers l’égalité hommes/femmes mais qui patauge encore beaucoup…

Prenons par exemple le cas de l’Allemagne et de la Pologne, puisque c’est le match qui a amené toute cette « petite » digression ! L’Allemagne, 4ième puissance économique du monde, rencontre donc la Pologne, qui pointe à la 23ième place, avec un PIB 6,8 fois inférieur. Même si l’Allemagne réussie mieux sur un plan économique, elle pourrait prendre exemple sur son adversaire, car en ce qui concerne les inégalités salariales homme/femmes, elle est très en retard. Elles sont de 22,4 %  en Allemagne contre 6,4% en Pologne, avec des inégalités sociales importantes dans les deux pays (4). Petite illustration qui permet de rappeler que les inégalités entre hommes et femmes ne sont pas forcément liées à la prospérité économique d’un pays.

Ces inégalités persistantes en Allemagne sont notamment dues au système économique allemand. La création de mini-jobs à faible revenu a permis de flexibiliser l’économie allemande…. Et tend à renforcer le clivage entre les emplois occupés par les hommes et ceux qui le sont par les femmes. Ces dernières occupent en majorité ces mini-jobs, de même que les emplois à temps partiels, ayant souvent sacrifié leur carrière pour élever leurs enfants, alors que les emplois à responsabilités restent en majorité masculins. Sans oublier les inégalités salariales qui, à poste égal, sont toujours d’actualité puisque les Allemandes gagnent 22,4% de moins que leurs homologues masculins (en ne considérant que les emplois à temps plein). Pour pallier à ce problème, la solution des quotas a été votée le 6 mars 2015. Applicable en 2016, elle oblige le grandes entreprises a avoir au moins 30% de femmes occupants les postes clés (5). Concernant les petites et moyennes entreprises (PME), ce sont à elles de fixer leur quota et de le rendre public. Malheureusement, il n’y a pas vraiment de sanctions pour les PME qui ne respectent pas le quota qu’elles se sont fixées et 30% de femmes dans les grandes entreprises est un chiffre trop faible pour beaucoup.

En Allemagne ou ailleurs, l’évolution de la société vers un système plus égalitaire se fait pas à pas. Les hommes politiques se rendent compte de l’importance d’inclure des femmes dans les cercles fermés des décideurs. Les personnes comme Justin Trudeau (premier ministre canadien) l’ont bien compris, une égalité entre les hommes et les femmes ne peut qu’être bénéfique pour notre société et peut devenir le combat de chacun, hommes et femmes confondus. Un combat qui prend place dans tous les milieux que ce soit le sport, les entreprises ou l’art.


  1. http://thinkprogress.org/sports/2015/07/20/3681302/world-cup-pay-gap-womens-sports/

  2. htttp://www.leparisien.fr/espace-premium/sports/le-foot-feminin-seduit-toujours-en-allemagne-14-05-2015-4769237.php#xtref=https%3A%2F%2Fwww.google.fr%2F

  3. http://www.inegalites.fr/spip.php?page=article&id_article=1560

  4. http://www.courrierinternational.com/article/2015/03/06/place-aux-femmes