Être libre sur le plateau
Par Dominique Bela
Comment le quotidien des demandeurs d’asile du centre de Bierset (Liège) s’est transformé en expérience théâtrale subversive et a supplanté les missions traditionnelles du journalisme.
Le centre d’accueil pour demandeurs d’asile, « l’Envol », sur le site de l’ancienne caserne militaire à Bierset, à quelques encablures de Liège, héberge près d’un millier de candidats réfugiés repartis en 3 blocs : A, B et « Village ». Un vent glacial souffle ce matin sur ce lieu de vie en dehors de la vie, où l’avenir n’existe pas encore, où l’on soigne ses blessures, en attendant… Le futur se conjugue en « i » : instabilité, incertitude et imprévu. Aucun résident ne sait combien de temps va durer son passage ici et où il va déboucher, dans la majorité des cas, c’est souvent des expulsions à répétition, à cause de nombreux refus des demandes d’asile par le Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides (CGRA) et/ou par le Conseil du contentieux des étrangers (CCE), conséquence du durcissement de la politique d’accueil en matière d’immigration en Europe. Les déboutés ont quelques jours pour vider les lieux, désormais, ils sont sans droits, sans famille, sans-papiers. Selon l’OCDE, il y a 5 à 8 millions de sans-papiers en Europe. Ceux-ci sont invisibles aux yeux des décideurs politiques. Cette situation met d’énormes pressions sur les acteurs locaux tels que les ONG, les professionnels de la santé et de l’éducation qui travaillent généralement avec des moyens limités.
Pour le demandeur d’asile en situation irrégulière fraîchement débarqué, le décalage est total avec cet Occident imaginé terre des droits de l’homme. Nous vivons dans une extrême précarité. En plus d’un toit, des repas et des soins médicaux, nous recevons une somme restreinte de 7,40 euros d’argent de poche par semaine. Une fois « la prime » reçue, nous filons en bus à Liège, téléphonons à nos familles… Ce sont les vacances, le temps d’un après-midi et d’un soir chaque mercredi. Il faut attraper le bus 85 pour le retour avant 19 heures pour ne pas rater le repas du soir, généralement des lasagnes. Ce n’est pas le plat préféré des résidents. Nous aimons surtout le poulet au four, servi avec du riz. Il faut attendre la repasse pour avoir la moitié d’un « pilon », quand tout le monde est servi. Certains font la cuisine dans leur chambre, malgré l’interdiction.
À Bierset, nous dormons dans des chambres d’environ 40 mètres carrés dans des lits superposés. La promiscuité est pesante. C’est le premier arrivé qui occupe le lit du dessous. Nous sommes 12 dans notre chambre : 5 Afghans, 1 Iranien, 1 Tchadien, 1 Congolais, 2 Sénégalais, 1 Mauritanien et 1 Camerounais. Une sorte de tour de Babel. L’espace est sommaire et exigu et les conflits ne sont jamais bien loin. La pomme de discorde est toujours la même : l’heure d’extinction des lampes électriques au coucher.
Quoique réduite à gérer l’attente, conformément à ses missions de suivi de la procédure d’asile et d’accompagnement social, la Croix Rouge de Bierset, forte d’une septantaine de collaborateurs, organise des séances d’information sur la procédure d’asile, son personnel nous aide à « travailler la grande interview » pour qu’elle soit conforme à l’esprit cartésien des agents du CGRA et met à notre disposition des tickets de bus pour rencontrer nos avocats. Cependant les moyens ne sont pas toujours au rendez-vous. Une vingtaine de toilettes et douches pour 300 résidents par bloc. Malgré le soin apporté, l’hygiène n’est pas toujours garantie. On déplore aussi des coupures de courant dans les dortoirs.