Nimis Groupe : chemins parcourus
Par Philippe Delvosalle
Après avoir réalisé, avec l’équipe de Culture & Démocratie, une série d’entretiens du Nimis Groupe et des autres comédiens de la pièce Ceux que j’ai rencontrés ne m’ont peut-être pas vu, Philippe Delvosalle livre ici un aperçu de la genèse du projet en une poignée d’étapes décisives illustrées de témoignages.
« Nous aimerions vous prévenir que vous allez assister à un spectacle qui est en totale contradiction avec l’actuelle législation européenne. Si certains d’entre vous ne veulent pas être personnellement mêlés à un acte de complicité, c’est-à-dire à un délit de solidarité envers une personne illégale, vous pouvez quitter la salle. Maintenant. Vous avez 40 secondes. »
Le 19 janvier 2016, vers 20h35 – et une dizaine de soirées qui suivront – cette étrange adresse aux spectateurs, lue en anglais avec une voix d’hôtesse de l’air, sort des baffles du studio du Théâtre national (Bruxelles). Personne ne sortira de la salle et le spectacle qui, chaque soir, va formuler ces précautions d’usage porte très clairement en lui les traces du long processus qui l’a vu naître. Il y a d’abord les personnes que nous voyons sur scène – celles-là même évoquées dans le texte de la voix off ci-dessus – résultat de la rencontre entre sept jeunes acteurs européens s’interrogeant au long cours sur les dessous des politiques migratoires en Europe et six demandeurs d’asile du Centre ouvert de Bierset1À l’exception d’Olga Tshiyuka, qui était au centre Belle-Vue à Eupen, racontant « en théâtre » leur parcours de migrants. Une idée de rencontre tellement au cœur du projet qu’elle se prolonge dans des actions de médiation culturelle particulières : invitation de personnes migrantes dans la salle et débat entre acteurs et public à l’issue de chaque représentation.
Il y a aussi la forme théâtrale de molécule ou de constellation née du foisonnement des informations récoltées : un montage dramaturgique d’éléments de registres différents pour former un tout convaincant, un discours certes pluriel, mais qui évite autant le syndrome du zapping que le piège de la simplification et de l’univoque.
Ceux que j’ai rencontrés ne m’ont peut-être pas vu apparaît clairement comme le résultat de l’incroyable aventure d’un collectif. Un groupe nourri des apports contrastés de chacun de ses membres, évidemment menacé ponctuellement par les divergences mais qui a réussi à contourner ces écueils en ne perdant pas de vue l’essentiel : faire sauter les barrières qui nous maintiennent à distance les uns des autres, chacun dans notre case ; dissiper les nuages de fumée qui protègent quelques fructueux business louches et dire – mais différemment, dans un langage théâtral qui n’est ni celui des militants ni celui des médias – le presque indicible d’une réalité qui restera dans l’histoire comme une des taches honteuses de notre époque.
En écho à ce fonctionnement en collectif – aux rapports qu’il implique entre le groupe et les individus – et à la construction du spectacle par la juxtaposition réfléchie d’apports parfois disparates, cet article associe des fragments de cinq entretiens réalisés avec dix membres du Nimis groupe, entre juin et juillet 2016. Après une première mention de leur nom complet, les membres de Nimis sont cités de la manière dont ils parlent les uns des autres dans la discussion : simplement par leur prénom.
↑1 | À l’exception d’Olga Tshiyuka, qui était au centre Belle-Vue à Eupen |
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