Nimis Groupe : chemins parcourus
Au début de la collaboration, on a vu des avocats en leur demandant si notre projet pourrait aider les réfugiés à avoir leur statut. Ils nous ont répondu : « Absolument pas. Mais, ça sera bénéfique pour eux de rencontrer d’autres personnes. » Les centres ouverts sont des lieux d’isolement, souvent assez loin des villes. Dans les rencontres d’après spectacle, il y a aussi quelque chose qui est resté de ça : que les migrants (acteurs ou spectateurs) puissent parler directement avec des « citoyens lambda ».
– Anne-Sophie
Quand on les a rencontrés et qu’ils ont commencé à parler de ce qu’ils savaient de la réalité d’un demandeur d’asile, assez vite on leur a dit : « Non, non. Ce n’est pas comme ça que ça se passe. » Par exemple, ils croyaient qu’une fois ici, on pouvait chercher du travail. On leur a expliqué qu’on avait besoin de telle et telle autorisations. Mais dans l’autre sens, eux nous ont appris ce qu’ils avaient lu dans les livres.
– Tigui
En jouant, comme exercice, une scène de renouvellement de carte de séjour tirée des Corps étrangers d’Aiat Fayez, ils nous ont dit : « Mais, on en a plein des histoires comme ça ! On va vous en raconter ! » Très vite, ce sont eux qui nous ont mis en scène.
– Anne-Sophie
À l’issue du premier atelier on a montré une première étape du projet au Théâtre de la Place à Liège à une cinquantaine de personnes : une moitié de demandeurs d’asile de Bierset et une moitié de copains de théâtre. Pendant le spectacle, ça réagissait très fort de la part des réfugiés, entre autres au niveau de l’humour – c’était très étonnant pour nos amis « théâtreux ». Et le débat à la fin a été très intense. Aussi tendu, houleux et « confrontant » … mais très intéressant. Notre volonté d’avoir pas mal de migrants dans le public vient aussi de là.
– Anne-Sophie
Un spectacle sur la migration et son économie, à la base ça ne fait pas vraiment rire. Mais on a eu comme objectif d’inclure de l’humour dans la narration. Personnellement, je trouve que placer une « bombe » après une blague, ça fonctionne assez ! Et puis, l’humour permet de désamorcer le cynisme.
– Jérôme
Personnellement, en tant que comédien, j’ai un autre rapport à ça. L’humour me donne une certaine légitimité à être plus subversif. Quand la voix off dit : « Si vous restez dans cette salle vous pouvez être condamnés pour solidarité envers des personnes illégales », elle me donne comme un pouvoir. Elle me dit : « Vas-y à fond ! Crache le morceau ! Tu as une tribune, comme au journal de 20h. Balance tout ! »
– Dominique
Septembre 2013-Février 2015 – la troupe, le plateau
À partir des premiers exercices en atelier à Bierset qui visaient surtout à se rencontrer, de leurs échanges de connaissances (vécues pour les uns, théoriques pour les autres), les jeunes acteurs professionnels et les réfugiés se lancent dans la recherche de formes théâtrales pour traduire les témoignages, les lectures, les statistiques, les textes législatifs, les réalités cachées, les idées reçues des uns et des autres, etc. Cela se passe beaucoup sur le plateau (à l’Esact) mais aussi en dehors : en allant voir d’autres pièces, en mangeant ou en dansant ensemble… Une troupe, un collectif est en train de se construire. Un spectacle aussi.
Tigui nous disait souvent : « Je connais mieux vos lois que vous qui êtes nés ici. Je me suis confrontée à telle procédure, j’ai été en centre fermé… Je connais mieux votre pays que vous et je vais vous apprendre comment il fonctionne. »
– Anne-Sophie