J’ai eu des influences qui m’ont nourrie, en particulier au niveau de l’exigence sur le plan du corps et de la créativité. Mon travail à l’hôpital psychiatrique de la Rochefoucauld avec l’équipe de thérapeutes, leur façon de penser la relation, d’accueillir des personnes qui ont des difficultés d’apprentissage, de communication et de vie en groupe. On leur a donné des pistes pour mieux gérer leur route. J’ai aussi été beaucoup influencée par Lilian Arlen, qui était une danseuse classique à l’origine. C’est vraiment elle qui m’a formée comme danseuse.
Pour moi ce qui était important à partir du moment où Free Dance Song devenait une école, c’est que chacun trouve son langage. Je ne voulais pas que ce soit un endroit où on vient acquérir une technique, un style particulier, mais un endroit où tous les enseignements allaient être à disposition pour que chaque élève trouve son propre langage chorégraphique. Toutes les recherches se font autour de l’improvisation, les autres cours étant là pour former le corps et développer les possibilités gestuelles de chacun. Ce que je ne voulais surtout pas, c’est que les élèves me prennent pour modèle, ou aient un modèle en venant à Free Dance Song. C’était très important pour moi parce que c’était ce que j’avais vécu : me dire au bout d’un moment, c’est très bien, je peux faire ceci, je peux faire cela, mais moi personnellement, qu’est-ce que j’ai envie de dire ? Comment ai-je envie de bouger ? La technique au service de la créativité personnelle, non comme une fin en soi.
Free Dance Song s’implique dans le social, dans le corps même de la cité, à travers un certain nombre d’activités. Ainsi du « Parcours filles-femmes » chorégraphié par Isabelle Maurel pour le comité métallos tous les ans à l’occasion de la journée internationale du droit des femmes, du projet « Danse ta route » avec des enfants, de la danse thérapie…
Le projet Danse ta route est lié à la formation. On forme les élèves à s’exprimer à travers la danse tout en étant utiles à la communauté. J’ai toujours en mémoire ce travail à l’intérieur du ghetto et j’ai proposé nos services à des centres sociaux dans les quartiers populaires, comme Belleville par exemple, et je leur explique : « On a des élèves tout juste formés et il faut qu’ils se mettent à la pratique. »
On veut leur transmettre les côtés positifs, structurants de la danse, la rythmique, la gestion de l’énergie, la coordination, l'expressivité personnelle, aussi, le développement de leur propre créativité, et également la relation avec les autres – ce sont les trois choses très importantes qu’on veut transmettre. On cherche aussi à faire évoluer l’image limitative de la danse véhiculée par les medias. Je parle des clips, des pubs, ce qu’on voit à la télévision, parce que les enfants ne vont pas regarder Arte, c’est ce qu’ils connaissent, les clips, c’est ça la représentation du corps qu’ils ont… Comment amener autre chose ? Les amener à réaliser que le corps, ce n’est pas seulement ce qu’on voit. C’est ça, le plus important, tu ne peux pas danser si tu ne penses qu’à ce qui se voit…
Nous sommes en train de préparer une conférence dansée que j’aimerais pouvoir faire tourner en banlieue par exemple, aller vers un public qui n’a pas cette culture, leur parler de l’influence de Dunham, leur faire connaître le jazz. Ensuite, l’idéal, si ça tourne après ce démarrage, ce serait d’inviter d’autres chorégraphes, d’agrandir le groupe avec d’autres danseurs qui sont dans la même mouvance, sans dire qu’on va s’enfermer dans quelque chose, car le terme afro-américain englobe quelque chose de tellement large…
Et l’art retrouve avec elle cette fonction : « l’art principe actif dans la cité ».

Isabelle Bessis