fouille Il y a tout un univers caricatural que je déteste. La caricature a besoin du stéréotype pour que le cerveau aille vite mais la plupart du temps, elle joue avec les mauvais. La tâche redevient stimulante quand on travaille sur soi à ne pas activer les mauvais, ou en tout cas, quand ils arrivent à les repérer comme tels et à les écarter pour en créer des bons. Une fois ce bon cholestérol identifié, rien ne m'empêche de le réutiliser ; c'est là qu'intervient la passion littéraire : je les utilise comme de petits personnages. Les médecins assassins, Molière les a créés. Après, ils ont acquis une forme d'autonomie en se décollant des personnages qui les avaient fait naître. C'est cette forme d'autonomie et d'action qui va ensuite devenir ce qui entoure, éclaire le réel.


cordons



Dans mon livre Les cordons de la bourse (2014), je cherche à donner d'autres formes à l'actualité. Je joue sur des idées comme les traders, le discours économique néo-libéral, les minutes de la bourse sur France Inter… Et je crée un bon stéréotype en jouant sur la récurrence des discours, et pas sur ses incarnations dans un fait ponctuel. Et j'ai actuellement un autre projet de livre avec Alain Deneault. Philosophe et chercheur en sciences sociales, il a beaucoup écrit sur les paradis fiscaux. On réfléchit ensemble aux représentations visuelles de ce phénomène. Souvent, tu vois un coffre fort sur une petite île, adossé à un palmier. A mon sens, ça ne dit rien de l'évasion fiscale. C'est là que j'essaie de créer d'autres stéréotypes pour redonner des prises sur les choses.
Je ne suis toujours pas sûr que celui-ci soit le bon, mais au moins, je crois avoir évité le mauvais ! Je désigne l'entreprise « Bombardier » en train de s'évader fiscalement ! Et j'essaie de mettre en relief l'idée qu'ils font ça activement, pour contrer le ressort du « on n'y peut rien » qui revient sans cesse. Dans ce livre, on s’échine vraiment à forger des représentations qui soient justes et pertinentes sur le temps long, c'est une exigence esthétique. avion
Ça revient à se demander comment et par quel angle attaquer un événement ?
C'est une question très journalistique en effet : quel angle correspond à ce que je veux dire, celui qui peut être le plus percutant, qui fera rire aussi, et qui donnera un beau dessin. Parce que l'esthétique m'importe aussi évidemment. Pendant le colloque, un intervenant me disait ressentir une vague noire à la vue des dessins… Bien sûr, comme on voit, on ressent. Et je joue sur la corde sensible, visuelle. Je cherche à réduire les possibilités au maximum : réduire au noir et blanc avec une couleur en plus, le rouge souvent, c'est du binaire et ça rappelle la typographie. Comme je travaille sur le discours, les masses de noir et blanc deviennent aussi du discours. Les grands choix et pattes esthétiques sont ceux qui sont portés par du sens. Les goûts eux, sont soumis au changement, donc autant donner du sens durable à la forme. Une autre question que je me pose, en ce qui concerne l'esthétique, est la ressemblance des personnages. Bien sûr, j'essaie un minimum, sinon ça rate ! Mais d'un autre côté, dédier trop de temps à la ressemblance m'amuse beaucoup moins ! J'essaie de trouver l'image la plus simpliste à laquelle je puisse réduire la personne. Un exemple très récent. Le maire de Québec, Régis Labeaume, répondait aux questions des journalistes, portant sur la jeune fille qui s'est pris le flash-ball en pleine tête. En gros, il a déclaré que si on ne voulait pas se prendre les armes dans la figure, il ne fallait pas s'approcher ! C'est tellement violent et caricatural que ça déraille tout seul. Si je dois le dessiner, ça sera une patate, sans yeux ni bouche, parce que même dans la tête, cet homme est une patate : avoir une absence totale de compassion quand tu vois une gamine de 18 ans se faire tabasser… C'est le « tournant caricatural » dont je parlais pendant le colloque : comment réagir quand eux-mêmes basculent dans le trop gros ? C'est le moment où la caricature devient réaliste ! patate
Dernièrement, beaucoup de choses nous donnent de la matière pour penser notre rapport à l'image. Au cours du colloque, tu parlais de l'affaire Jennifer Pawluck. Cette jeune fille a relayé sur son compte Instagram le graffiti d'un autre, représentant le porte-parole de la police, Ian Lafrenière, avec une balle dans la tête. Condamnée pour « harcèlement criminel », elle est en procès depuis la fin février. On est très forts pour faire la leçon aux autres, en leur reprochant de ne pas être capables de distinguer une représentation de ce qu'ils identifient comme « réel », mais dans ce cas… ? Tout en condamnant toutes les formes de violence, tu avançais l'importance de s'interroger sur notre propre rapport aux icônes…
Effectivement, dans le cas de l'affaire impliquant le porte-parole de la police de Montréal, qui est un officier haut placé, tout cela me semble central et troublant… Et quand on condamne quelqu'un pour avoir sifflé la Marseillaise, ou pour ne pas avoir respecté les minutes de silence, c'est pareil. Les insultes aux notions abstraites deviennent d'un seul coup très visibles, alors même qu'on critique les Musulmans comme n'étant pas capables de voir la différence entre la représentation et le « réel ». En dénonçant ceux qui ne respectent pas les minutes de silence, on est complètement en porte-à-faux par rapport à l'affirmation que l'image n'est pas la chose, que l'on prône par ailleurs. La question de la représentation perturbe l'art contemporain en général : bien sûr, on n'est pas là pour représenter le réel de manière mimétique, le débat s'est déplacé ailleurs ! Mais l'art a toujours un rôle à jouer dans la représentation du monde, bien que ce ne soit plus sur le terrain de l'imitation.